Actions speak louder than words.

Ephraïm S. Hopkins & Lemon E. Wilfried

A la nuit tombée, plus personne ne trainait dans les rues d’Ojai. Pas un bruit, pas un chuchotis. Lemon se rappelait encore comme il était bon de vivre à Sacramento où odeurs savoureuses et lumières éblouissantes ne faisaient qu’un. Les habitants profitaient généralement d’un temps plus doux pour s’accorder une petite promenade, un moyen de se délasser après une dure journée de travail. Malheureusement, la jeune femme comprit en clôturant la porte de la bibliothèque qu’on se rendait compte du bonheur que l’on avait une fois que celui-ci n’était plus. Cette atmosphère si chère à son cœur, elle l’avait perdue lorsqu’elle eut franchi Ocean Avenue sept ans plus tôt. Ici-bas, on ne s’en tenait qu’aux convenances à quelques exceptions près : fort heureusement, certains liens s’étaient tissés au fil des années. Néanmoins, la danseuse ne se sentait pas à son aise, un certain mal être l’habitait depuis quelques temps, une sensation d’être dirigée telle une marionnette. Guidée par son instinct, elle s’était permis de rassembler quelques éléments qui lui permettraient de faire quelques recherches efficaces. Perfectionniste au plus haut point, elle s’était jurée de poursuivre ses rêves et était bien décidée à tenir cette promesse coûte que coûte.
Lemon semblait être l’une des seules à pratiquer un jogging aux alentours de sept-heures. Une brise légère, un silence de cathédrale, un ciel aux couleurs acidulées et un endroit désertique : le combo gagnant pour une dose d’adrénaline. Au fil des semaines, elle se fixait des objectifs et, le circuit étant limité, elle tentait tant bien que mal d’effectuer trois fois le pâté de maison au minimum. Malgré tout, ce soir elle allait devoir faire une halte chez Ephraïm afin de lui demander un service. Cette faveur exigeait de remballer toute fierté puisqu’il était le seul apte à régler son problème à son grand dam. Arrivant devant sa porte, elle ne put cependant réprimer un petit sourire : cet homme l’insupportait d’une certaine manière et pourtant, elle ne pouvait lui retirer son charme à toute épreuve. Leur relation était indéfinissable et c’était peut-être cet aspect-là qui attirait indéniablement la jolie blonde. Après avoir toqué et sonné, elle lui laissa un simple petit mot : « Besoin de toi. Lemon. » Non, elle ne s’abaisserait pas à quelques futilités tel qu’un merci ou un s’il te plait, une manière de lui montrer qu’encore et toujours, elle prenait un malin plaisir à le chercher.

Sa chevelure dorée en bataille, sa veste grise nouée sur ses hanches et une clé à molette en main, la bibliothécaire était déterminée à réparer ce tuyau elle-même. Cela ne devait pas être sorcier après tout, un boulon ou deux suffirait et elle n’aurait alors nul besoin de qui que ce soit. S’armant de courage, sa détermination innée l’amena à enlever le morceau de scotch qu’elle avait grossièrement apposé sous le lavabo. Une petite fuite au niveau du cylindre, rien de bien méchant. Elle prit aussitôt l’outil maladroitement et eut la présence d’esprit de le régler à la bonne taille, un bon début. La jolie blonde se mit donc à serrer, serrer de toutes ses forces… jusqu’à ce que cela explose. Un jet puissant aspergea Lemon et la salle de bain se retrouva dès lors partiellement inondée. Jetant l’engin au sol d’un geste dédaigneux, elle se lamenta de l’état de la pièce en faisant un tour d’horizon. Alors qu’elle s’apprêtait à retirer son débardeur, elle entendit la sonnerie retentir : Ephraïm. Instinctivement, elle jeta un coup d’œil à son reflet comme pour se rassurer qu’elle restait un minimum séduisante. Après quelques secondes, elle ouvrit la porte et se retrouva face à l’un de ses habitants préféré : « Enfin tu es venu… merci. ». Sans un sourire et d’un pas gracieux, elle se dirigea vers l’escalier mais stoppa sa route pour finalement se retourner comme si une précision était de rigueur. « C’est par là. » La danseuse se mit aussitôt à monter les marches deux par deux et c’est avec un brin d’appréhension qu’elle lui présenta ce champs de bataille. Alors qu'il semblait s’installer afin de rechercher d’où venait le problème, Lemon déposa une main sur le lavabo pour pouvoir retenir les gestes qu’il allait entreprendre sous peu. « Je n’ai pas pris soin de ranger mes bijoux de valeurs alors tâche de garder tes œillères. » Un petit rictus des plus malicieux lui était adressé : l’annonce du début des festivités.

Lemon&Ephraïm

La nuit apportait toujours son lot de mystères. Elle levait le voile sur les âmes discrètes de la journée qui n'attendaient que la nuit pour opérer. Ephraïm savait ô combien il était important de dissimuler les détails embarrassants aux habitants d'Ojai, c'est pourquoi il n'y avait rien de tel qu'un petit jogging en soirée. Il avait pris cet habitude dès l'adolescence, il courrait toujours seul mais ne ratait jamais sa petite routine – c'était pourtant pas faute d'avoir essayer de convaincre son jumeau de le suivre à plusieurs reprises. Finalement rien ne valait la solitude. Les quartiers s'étaient vidés en l'espace d'une demi-heure comme si un couvre-feu sonnait le glas, comme si les habitants risquaient la mort en restant dehors. Et non elle n'errait pas dans les rues à la recherche d'une victime, au contraire l'heure le plus sûr de la journée était la nuit, là où la probabilité de voir débarquer un inconnu s'amenuisait grandement. Quoiqu'il en soit, Ephraïm fit son petit tour des quartiers d'Ojai. Dans un village tel que celui-ci on avait rapidement fait de parcourir les lieux, c'est pourquoi il s'en autorisa quelques-uns en plus. Parfois il mourrait d'envie de franchir ce panneau quand il s'en approchait. Il était vieux, le piquet qui le tenait était branlant mais le panneau lui était toujours rutilant. A croire que la mairie s'efforçait de garder un aspect accueillant pour attirer les nouvelles têtes. C'était stupide puisqu'elles provoquaient la mort. Il avait maintes fois proposé de la retaper mais il était hors de question de le toucher et Hopkins avait rapidement compris qu'il n'insisterait pas sans danger. Avant de se faire du mal, il fit demi-tour puis repartit à petites foulées vers sa maison. Bizarrement ce soir il avait envie de passer du temps avec Aerith, de ne plus se torturer l'esprit avec des espérances vaines et des soupçons infondés. Il était las d'Ojai et quand une mère de quatre enfants l'interpella pour le saluer, sans oublier d'écorcher son prénom, son sentiment devenait davantage amer.

''Besoin de toi, Lemon.'' C'était bien la dernière surprise à laquelle il s'attendait ce soir. Avait-elle vraiment besoin d'elle sous cette nuit noire où aucune étoile ne semblait oser pointer sa lueur ? Lemon c'était un peu le fil à retordre que Dieu lui avait imposé, l'aiguille dans la botte de foin qui le piquait chaque fois qu'il pensait être tranquille et dont il ne parvenait à se débarrasser. Pourtant il aimait toujours tenter de s'y asseoir des fois que... Ephraïm se changea en deux temps trois mouvements, juste le temps d'enfiler son bleu de travail et de mettre son tee-shirt de la journée. Il était un professionnel – même s'il était plus doué pour concevoir les choses que de les réparer – mais quand il s'agissait de Lemon, il aimait ne pas trop faire d'efforts non plus. Il passa une main rapide dans ses cheveux embrouillés et encore humides du jogging précédent puis empoigna sa caisse à outils. Elle habitait à la rue parallèle de Wooster Avenue. Lemon Grove était un quartier plutôt agréable et ses occupants parfois un peu trop joyeux. Il fallait croire qu'il triait parfois malicieusement les attributions des maisons et pour rien au monde, il n'aurait souhaité se retrouver sur Ocean Avenue. Quand il foula le perron du numéro 40, Ephraïm prit le soin d'enclencher la sonnette pour signaler son arrivée. Elle avait intérêt à lui offrir de l'urgence sinon il tournerait vite les talons pour regagner sa maison. C'est une Lemon trempée qui l'accueillit. Aussitôt, le regard moqueur, retenant un rictus, il finit par se plaindre le plus sérieusement du monde : « J'attendais de toi une hôte plus élégante, l'intellectuelle me déçoit. » Il suivit la jeune femme sans un mot jusqu'à la scène du crime puis s'aperçut enfin de l'ampleur des dégâts. La salle de bains était inondée et le tuyau censé être relié au lavabo gisait sur le sol. Il se frotta la nuque tout en réfléchissant au meilleur moyen de réparer le désastre. « C'est pas possible que ça ait éclaté tout seul, t'y as mis les mains c'est ça ? » Le réparateur poussa un soupir volontairement exaspéré, rien que pour ses jolis yeux énervés puis il entreprit de s'atteler à la tâche. Mais Lemon était décidée à garder un œil soupçonneux sur lui et se permit une remarque désobligeante. Tandis qu'il ramassait les morceaux du feu tuyau, il leva ses yeux clairs d'un air dédaigneux : « Sache que je suis relativement sage le soir, et c'est certainement ton joli bracelet en argent dont tu n'as pas remarqué la disparition la toute première fois que je suis venu qui m'a permis de payer le nouveau tuyau dont tu vas avoir besoin. » Ephraïm était blessé dans son orgueil, blessé qu'elle l'ait percé au grand jour. Il lui agita les débris sous les yeux. « Je suis dépanneur mais pas magicien. » Il les laissa tomber par terre, elle n'avait qu'à les jeter puis il sortit de son énorme caisse un tuyau long mais flexible. Ca ferait l'affaire du moins jusqu'au prochain passage du livreur à qui il commanderait un tuyau qui tiendrait la route pour quelques années.

Actions speak louder than words.

Ephraïm S. Hopkins & Lemon E. Wilfried

Son rythme cardiaque s’accélérait, quelques gouttelettes de sueurs perlaient sur son front et une vague de chaleur empourpra les joues de Lemon au cours de la dernière ligne droite. Quel bonheur de pouvoir retrouver le temps de quelques tours l’envie de se dépasser, de ressentir cette sensation de plénitude une fois l’arrivée franchit. Le sport n’était pas un simple mot mais bien une vocation, une soif de victoire qui perdurait, même une fois le trophée entre les mains. A présent, l’ancienne danseuse n’avait plus aucun but, ses seuls exploits se limitant aux quelques pâtés de maison qui entouraient son chez-soi. A vrai dire, le seul élément de cette ville qui l’attrayait au possible était le simple panneau qui trônait fièrement à l’entrée d’Ojai. Une foule de sentiment s’envahissait lorsqu’elle l’apercevait à l’horizon : espoir, haine, douleur, envie entre autres. N’était-ce pas là le pire des châtiments, être enfermée dans une cage d’un or terni par les mensonges, les ruses et les apparences ? Cela n’était plus de l’ordre du désir mais bien du besoin, le besoin de mettre un terme à toute cette mascarade. Ses projets d’avenirs furent malheureusement bousculés par un moment de lucidité : la bibliothécaire devait avant tout passer chez un certain Ephraïm. En voilà une autre de corvée. Non pas qu’elle ne l’appréciait pas – quoi que, tout était relatif – mais ses manières n’étaient pas des plus conventionnelles au grand désarroi des objets qu’ils s’étaient secrètement procurés. Pourtant, l’espoir démesuré de croiser sa route au détour d’une ruelle lui procurait un bonheur troublant. Peut-être était-ce ce jeu qu’ils entretenaient ou bien une certaine attraction qu’elle préservait de tous soupçons. Quoi qu’il en soit, il était son meilleur ennemi et à son grand dam, elle mourrait d’envie de lui envoyer quelques vannes tout comme de le séduire inconsciemment. Jamais elle n’oserait se l’avouer mais l’inaccessible, l’impossible, l’interdit ou encore le danger n’avait-il pas quelque chose d’effroyablement attirant ? C’est sur ces entrefaites que la jolie blonde déposa un petit mot au coin de sa porte, considérant le fait qu’elle devenait de plus en plus bipolaire au travers de ses réflexions.

La sonnette, il était temps. Trempée au possible et frustrée de ne pas avoir réussi à dompter ce foutu tuyaux, Ephraïm était désormais attendu tel le messie. Pourtant, elle ne comptait bien lui dissimuler toute trace de sympathie ou même d’impatience afin de préserver tout de même un semblant de fierté. Aussitôt que la porte fut ouverte, Lemon eut droit à une remarque qui lui confirma le fait qu’elle était dans un piteux état. « Tu ne crois tout de même pas que je t’aurais fait cet honneur. » A vrai dire, la jolie blonde aurait préféré être plus présentable afin d’entretenir cette grâce qui habitait la moindre petite parcelle de son corps. C’est avec une certaine appréhension qu’ils firent fasse aux dégâts causés par la maladresse de la jeune femme qui avait tenté, tant bien que mal, de remédier à ses propres problèmes. Ephraïm lui demanda alors si cette pièce inondée était le fruit d’une bonne action masquée. Lemon le regarda quelques secondes d’un air dubitatif pour ensuite jeter un regard à ses propres vêtements. « Oh non, j’avais simplement envie de prendre une bonne douche en gardant mon jogging bien-sûr. » L’ironie qu’elle avait soutenu était facilement remarquable et d’ailleurs, elle ne s’en cachait pas. C’était une manière de confirmer ses propos en gardant tout de même la main et un semblant de dignité qui n’était pas de refus. La bibliothécaire laissa alors son voisin s’installer en guettant cependant ses faits et gestes et ne manqua pas à lui faire une remarque à propos de sa gloire passée. Elle avait su le cerner et elle savait pertinemment ô combien il détestait ça. Alors qu’il se positionnait sous le lavabo afin d’inspecter les lieux, la jolie blonde laissa perdurer son regard quelques secondes sur la stature du jeune homme. A l’abri des regards indiscrets, elle fut cependant très vite ramenée à la réalité lorsqu’elle entendit la réponse d’Ephraïm. Ses lèvres s’entrouvrirent un instant sans pour autant interrompre ce silence par certaines paroles qui se voulaient mal placées. Certes, elle n’avait pas remarqué l’absence de ce bijou mais cela lui enlevait-il toute valeur ? Brusquée par une petite vengeance personnelle, elle se risqua alors à ouvrir le robinet et reçut l’effet escompté : son voisin fut également aspergé d’eau fraiche. Ce délicieux spectacle lui retira un bref sourire. « J’aimais beaucoup ce bracelet. » A ces mots, Lemon s’accroupit face à lui et brandit sa clé à molette d’un air faussement accusateur. « D’ailleurs, je n’aime pas trop l’idée que tu sois si sage. Ne dit-on pas qu’il faut se méfier de l’eau qui dort ?» Elle le dévisagea quelques secondes comme si ces deux êtres partageaient une confidence qui ne devait être répétée sous aucun prétexte. Son regard se voulait doux et impénétrable à la fois, une énigme à elle seule. Pour ne trahir aucune once de sympathie, elle préféra se lever et se dirigea vers son meuble où elle prit une serpillère sèche. C’est avec une aisance déconcertante que la danseuse se mit à genoux afin d’essuyer le sol qui n’était plus qu’une baignoire géante. Pourtant, le canal qu’Ephraïm observait minutieusement la rappela à l’ordre : « Mon ancien bracelet qui s’est à présent réincarné en tuyaux sera donc la seule rémunération que tu auras de ma part. Si tu fais du bon travail, je reconsidérerai ça en t’offrant un cookies.» Un petit sourire en coin se dessina sur ses lèvres tandis qu’elle s’attela ensuite à éponger le carrelage, jetant de temps à autres quelques regards en direction d’Ephraïm.

Lemon&Ephraïm

Lemon prenait bien la peine de répliquer à chacune de ses interventions railleuses comme si elle ne voulait pas perdre la face en sa compagnie. Ephraïm ne faisait pas partie des plus 'craints' ou des plus influents d'Ojai. Il n'avait qu'une grande gueule lorsque ça le concernait directement et il ripostait impulsivement et maladroitement plutôt que de fomenter un plan machiavélique durant des heures. Mais avec la blonde intellectuelle c'était une tâche à la fois tellement facile et si ardue. Elle paraît tout ses coups, elle choisissait même d'attaquer en premier. Elle était toujours sur la défensive. D'un côté ce fut compréhensible, elle était l'une des rares à avoir percé le double intérêt qu'il trouvait à être le dépanneur d'Ojai. Elle se méfiait de lui et lui-même se méfierait d'une personne qu'on avait aperçu en train de dérober des objets de valeur. Mais il n'avait que faire de son jugement à propos de ses délits : il estimait que sa raison était juste et pour rien au monde elle n'arriverait à le comprendre. Passé la surprise de la catastrophe dans laquelle il était en train de patauger, il s'était mis en tête d'en trouver la cause et de résoudre rapidement le problème. Il se sentait plutôt mal à l'aise avec elle, il avait l'impression qu'elle épiait chacun de ses faits et gestes. On ne sait jamais des fois que la pulsion de voler une savonnette ou du parfum pour femme lui traverserait l'esprit ! La tentative de réparation avait vraiment échoué, il s'interrogeait même si l'absence des mains de Lemon sur ce pauvre lavabo aurait limité les dégâts... Son ironie manquait chaque fois de le faire rire. Elle avait au moins la vertu d'être drôle malgré elle. Que dire de sa tenue ? Elle était en jogging, son débardeur était trempé à cause de l'explosion du tuyau. Sous les gouttes qui perlaient le long de ses cheveux, il avait remarqué une fine pellicule de sueur qui laissait deviner qu'elle revenait d'une séance de sport. Malheureusement Ojai n'était pas doté d'un centre de sport, ils n'avaient que les rues et les coins escarpés pour espérer se maintenir en forme. A croire qu'il l'avait ratée de peu. Sous ses airs décoiffés, bibliothécaire était une très jolie femme avec beaucoup de grâce. Il avait pu le remarquer au cours de ses brèves apparitions ou lorsque, plongé dans son travail, elle avait ce maintien presque parfait qu'on ne pouvait offrir qu'aux danseuses. Il ne l'avait jamais interrogé à ce sujet, bien trop absorbé par les babioles qu'elle dissimulait dans sa maison.

Une fois de plus, Lemon évoqua la fois où elle l'avait surpris en train de faire les poches de son manteaux. Cette tentative avait été plutôt risquée et aujourd'hui il regrettait amèrement de s'être éloigné de ses sentiers habituels. Malgré tout, Ephraïm ne perdait pas contenance et s'empressa d'ajouter fièrement que la seule chose qu'il avait obtenu d'elle avait été revendu au profit de quelques matériaux nécessaires à son job. Une petite bombe qu'il lâchait orgueilleusement pour lui rappeler qu'elle n'avait pas le dessus même en ses appartements. Le sourire aux lèvres, il continua de retirer tout ce qui était resté accroché au lavabo et son lien au mur. Brusquement un jet d'eau vint lui asperger le visage, manquant de le renverser en arrière. Il eut tout juste le temps de s'essuyer le visage d'un revers de bras qu'il l'aperçut brandissant un clef à mollette dans la main. « Si tu comptes me tuer, attends au moins de pouvoir te laver les mains ensuite. » Déclara-t-il d'une voix méprisante. Tout à coup, la furieuse envie de la laisser en plan lui prit à la gorge mais il ne désirait pas risquer sa réputation pour une pimbêche incapable de se servir de ses fines mains. Il ignora sa prochaine menace, glissant sa tête sous la cuvette en marbre bon marché pour examiner l'état de l'arrivée d'eau. Il allait falloir colmater la moindre fuite mais ça devrait pouvoir tenir jusqu'à ce qu'il ait la bonne pièce. Il saisit sa propre clef mieux réglée puis entreprit de visser le tuyau à l'embout correspondant. Pendant ce temps, Lemon semblait avoir calmé ses ardeurs et s'était lancée dans l'essuyage du sol inondé. L'oeil vert d'Ephraïm n'avait pu échapper à la jolie courbure que creusait son dos tandis qu'elle frottait la serpillière qui se gorgeait peu à peu d'eau. Son attention se reporta brièvement sur son labeur à lui quand elle surenchérit sur les honoraires qu'il recevrait. Serrant le plus possible l'écrou, il tourna la tête vers elle, le front posé contre le marbre froid. « Je peux tout aussi bien partir maintenant. Je connais une personne qui fait indubitablement mieux les cookies. » Il désigna de l'index sa salopette bleue de travail dont il n'enfilait jamais les bretelles. « En revanche je suis la seule personne de ce patelin capable de mettre les mains dans la crasse et la merde pour résoudre vos incompétences. » Ok, Ephraïm venait juste de prendre Lemon comme exemple de toute la haine et la rancœur qu'il éprouvait envers Ojai. Conscient que ses paroles étaient exagérées, il commença alors à s'intéresser à l'autre partie de son tuyau. Finir vite.

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Ephraïm S. Hopkins & Lemon E. Wilfried

Des filaments mordorés ornaient ce carrelage laiteux, des serviettes aux couleurs vitaminées ajoutaient cependant une petite touche de gaieté. Cette salle de bain aux couleurs pastelles et aux motifs délicats s’apparentait pourtant de plus en plus à un ring de boxe. Les paroles vénimeuses qui résonnaient entre ces quatre murs fusaient à une vitesse fulgurante, un combat sans merci s’annonçait comme à chacune de leurs rencontres. Pourtant, Lemon ne pouvait s’empêcher d’apprécier ces petits moments qui n’appartenaient qu’à eux. Masochiste ? Pas le moins du monde. Ces altercations lui permettaient de retrouver un semblant de liberté, de pouvoir s’amuser sans pour autant perdre toute notion de contrôle. Elle s’obstinait constamment à garder la main, usant et abusant du bluff mais aussi de quelques sourires amplis de malice. Ce petit jeu perdurait encore et c’est inlassablement qu’ils puisaient dans leur for intérieur afin de propulser la meilleure des vannes. Cette fois-ci, ce fut loin d’être une rencontre anodine puisque la jolie blonde avait dû faire appel à Ephraïm dans un élan de désespoir. L’idée de ne pas avoir réussi quelque chose l’exaspérait au plus haut point et devoir appeler en renfort son voisin était un peu la cerise sur le gâteau. Lemon n’aimait pas être dépendante de quelqu’un, elle avait pour habitude de se débrouiller par elle-même et de garder ainsi, un semblant de fierté. Pourtant, depuis qu’elle était arrivée à Ojai, ce besoin de perfection c’était doucement dissipé. Certes, elle savait bidouiller quelques petites choses à sa portée mais certaines réparations lui échappaient encore. Malheureusement – ou heureusement – pour elle, un seul homme dans cette petite bourgade était apte à raccommoder tout petit problème persécutant.

Ephraïm s’attelait donc à réparer la tuyauterie à l’aide de plusieurs outils dont notamment, un cylindre qui avait été payé indirectement par ses soins. Lemon n’arrivait pas à définir son état d’esprit actuel: devait-elle être en colère contre lui ou tout simplement éclater de rire ? Parfois, il l’insupportait tant que ça semblait en devenir maladif et pourtant, pourtant… Malgré son air sur deux airs, son impassibilité, sa rancœur envers chaque être habitant Ojai, bon nombre de qualités retenaient son attention. Ses prunelles pétillantes, son incroyable capacité à brouiller les pistes et évidemment une stature tant négligé que séduisante. Sans modération, la bibliothécaire avait donc décidé d’asperger à son tour son voisin, une manière de se venger sans trop de méchanceté. Pourtant, après l’avoir menacé avec une clé à molette, Lemon fit mine d’ignorer ses propos et préféra donc s’éloigner en laissant demeurer le silence quelques instants, un silence qui ne la dérangeait pas contrairement à beaucoup. C’est en se munissant d’une serpillère qu’elle se décida enfin à rétorquer : « Le robinet de la baignoire fera l’affaire. » Il était à présent temps qu’elle se mette au travail également, la salle de bain s’étant transformée en une piscine olympique depuis le petit incident. Jetant quelques petits coups d’oeils indiscrets au travail qu’Ephraïm était en train d’achever, son attention se porta principalement sur ses mains afin d’identifier les mouvements qu’il était en train de faire : retirer, poser, tourner, serrer… cela semblait faisable. Après avoir essoré son chiffon, une pensée lui traversa l’esprit ou, tout du moins, une vanne qui allait toucher directement les honoraires qu’il recevrait à la fin de son service. Sa remarque la fit doucement sourire et, s’asseyant un moment en tailleur près du lavabo, elle haussa les épaules d’un air exagérément désinvolte : « Sauf que tu ne partiras pas, tu l’aurais déjà fait sinon. De plus, je suis obligée de te contredire : des cookies meilleurs que ceux de Melody et Ruby, clairement impossible. » Lemon pencha subtilement son visage sous le lavabo afin de constater les dégâts mais également la tâche accomplie. Pourtant, Ephraïm sembla tout à coup remonté au possible en démontrant toute la rancœur qu’il éprouvait envers chaque personne vivant ici, incluant bien sur la jeune bibliothécaire. Pensait-il vraiment être mieux que tout autre habitant ? La danseuse se releva alors afin de récupérer sa serpillère. « Si ça t’ennuie tant de « résoudre nos incompétences » comme tu dis si bien, pourquoi t’être désigné comme homme à tout faire ? Puisque tu hais tout le monde dans ce coin du plus profond de ton être, tu ferais mieux de travailler au cimetière avec ton frère par exemple. Les morts, eux, ne t’embêteront pas.» Sa retenue naturelle contrastait totalement avec l’ironie de ses paroles. Dans un élan de générosité, elle saisit une serviette en plus qu’elle déposa sur le rebord du lavabo. Lemon le dévisagea quelques temps comme pour guetter une réaction quelconque puis épongea brièvement les pointes de sa chevelure. La bibliothécaire faisait mine d’être concentrée et pourtant, diverses questions de bousculaient dans son esprit. Ayant soif de savoir et de découverte, elle ne considérait pas ses réflexions comme source de curiosité. Peut-être était-ce en rapport avec cette promesse qu’elle n’avait pu tenir, un remord qu’elle emporterait dans sa tombe. Ainsi, elle retourna de nouveau à sa place initiale, aux côtés d’Ephraïm et lança de but en blanc : « Quels étaient tes rêves avant d’arriver ici ? Je veux dire, hormis plumer toutes les maisons d’Ojai. » Lemon ne put retenir un petit rire mais reprit tout de suite son sérieux sans cesser de scruter son voisin. Elle avait envie – besoin – de ne plus se sentir seule dans ses réflexions l’espace d’un instant. L’heure était aux confidences.

Spoiler:

Lemon&Ephraïm

Lemon continuait de le provoquer tout en insinuant qu'il n'obtiendrait aucun salaire pour son travail. Chaque chose qu'elle débitait, le dépanneur tentait tant bien que mal de les rendre dérisoires. Rien ne l'atteignait, il essayait de s'en persuader. Même lorsqu'il s'agissait de sa survie financière... Puis il se rappela que Melody et Ruby habitaient également sous ce toit. Autrement dit, sa réplique était ruinée et elle gagnait un point supplémentaire. Bien entendu, il avait parlé des petites merveilles sucrées de la blondinette sur lesquelles tout le monde se jetait sitôt que son stand était ouvert. Il se souvenait encore de la fois où il avait essayé de l'arnaquer pour en obtenir gratuitement mais la petite ne s'était pas laissée démonter. Elle héritait d'une bonne répartie et Ephraïm espérait juste que ce n'était pas grâce à l'aide de sa chère colocataire, la bibliothécaire. Cette dernière s'était arrêtée dans sa tâche pour l'interroger suite à sa confession involontaire. C'était toujours les mêmes gestes qu'il effectuait. Il réparait un robinet qui avait d'abord eu des fuites avant de décider que c'en était trop puis explosa. Il avait l'impression de faire toujours la même chose, à croire que les robinets d'Ojai était machiavéliquement trafiqués pour inventer des problèmes à leurs usagers. Combien de lave-mains avait-il remis sur pied aujourd'hui ? Il n'en avait aucune idée et rien que d'imaginer que ce fut plus d'un il en avait la nausée. Comment dire que résoudre les problèmes mécaniques des autres était le seul moyen pour qu'il se sente encore un peu utile de ses compétences manuelles ? Il ne comprenait pas non plus le choix d'Aerith pour le gardiennage du cimetière mais bon, qui était bien lucide dans cet endroit maudit ? Oh chère petite Lemon c'était hors de question que tu en saches plus et Ephraïm était bien déterminé à respecter cette promesse, à défaut d'autres réduites en poussière.

Une serviette propre et sèche atterrit sur le lavabo. C'était évidemment la meilleure initiative qu'elle ait eue ce soir-là. Sans rien dire, il la prit pour éponger son visage et frotter ses cheveux d'un geste vigoureux. Ils étaient indisciplinés et formaient des épis dans tous les sens mais il s'en moquait royalement, c'était de l'art d'Aerith de savoir dompter leur crinière. Le silence était pesant mais Ephraïm n'avait pas envie de le briser pour des bêtises. Si chacun vaquait à ses occupations, c'était tout aussi profitable pour eux. Il s'éclipserait aussi rapidement qu'il avait fini. En fait, le trentenaire n'était même plus satisfait de pouvoir revoir Lemon. D'habitude, il y avait toujours cette petite excitation à l'appréhension de la revoir, cette petite pointe de doute qui le laissait vagabonder sur les possibles joutes qui allaient les opposer l'un à l'autre. Là elle avait suffisamment mis le doigt sur la corde sensible pour qu'il ait envie de se réfugier dans un mutisme désobligeant. Il avait perdu le fil de sa routine et finit par pousser un soupir, tout en extirpant la tête de sous le lavabo. Il ne manquait plus que quelques écrous et vérifier si tout fonctionnait bien et enfin il pourrait partir. Lemon se laissa alors aller à des questions de plus en plus indiscrètes. D'abord, il lui jeta un coup d’œil dubitatif, le visage consterné. Pensait-elle vraiment que c'était si simple ? « En quoi ça te regarde ? » Il l'ignora quelques instants juste pour marquer le coup du rejet. Mais c'en était trop, il laissa tomber son instrument avant de se retourner complètement vers elle, toujours assis sur ses genoux. « Tu crois vraiment que ça sert à quelque chose de penser à notre vie d'avant ? Y'en a qui croient au destin, qui pensent que c'était écrit qu'on finisse dans ce coin perdu. T'en fais partie non ? Oublie tes rêves Lemon, c'est pas ici que tu les réaliseras. » Il eut un faible rictus désappointé. « Tu crois que c'était mon rêve de faire ça ? Tu crois qu'Aerith a toujours eu une passion nécrophile ? Tu penses que Mrs Rosewood est touchée par les morts qui surviennent ? Et toi, vu la grâce qui t'habite je doute que tu aies toujours eu la tête dans les livres. » Son compliment était inopiné mais réel. « J'ai pas envie de parler de ça avec toi, tu serais capable de t'en servir comme arme la prochaine fois que tu as besoin de moi. » Un sourire éphémère apparut sur son visage pour pas qu'elle ne tienne rigueur de ses dures paroles puis il se remit au boulot.